Le mercredi 02 avril 2025, c’est une onde de choc qui traverse l’économie mondiale. Bien qu’annoncée à grandes pompes et déjà expérimentée avec quelques pays ou groupes de pays (Canada, Mexique, Union Européenne), la série de mesures protectionnistes du Président Américain Donald TRUMP prend une tournure générale et plus inquiétante avec l’instauration des droits de douane d’au moins 10% sur tous les produits importés par les Etats-Unis d’Amérique (USA).
Les projecteurs sont évidemment braqués sur les dizaines de pays faisant partie des principaux partenaires commerciaux de Washington qui verront désormais des taux exorbitants appliqués à leurs produits à l’entrée sur le territoire américain. Quelques-uns d’entre eux ont déjà annoncé le ton des contre-mesures selon le principe de réciprocité bien ancré dans les règles du commerce international et de la diplomatie économique. Ils entendent ainsi répondre coup pour coup aux taxes ou restrictions imposées par l’administration américaine, afin de protéger leurs propres industries et rééquilibrer les échanges.
La guerre commerciale est ainsi déclarée et suscite déjà d’importants remous sur les marchés financiers et la perspective d’un bouleversement de l’ordre mondial façonné par des décennies de libéralisation du commerce devient une réalité. Les économies africaines, y compris celle du Cameroun, risquent d’en ressentir des contrecoups directs et indirects bien réels. De manière spécifique, le Cameroun fait partie des pays relativement épargnés par la bourrasque de la hausse des taux de droits imprimée par Donald Trump. Il se voit imposé un taux de 11% en contrepartie, selon les services américains, d’un tarif de 22% que subiraient les produits US à leur entrée sur le territoire camerounais (l’estimation de ce taux aurait pris en compte des pratiques telles que la manipulation monétaire et les barrières commerciales).
Aperçu de quelques droits de douane imposés par Donald Trump :


Pour chaque pays, le taux imposés est en principe proportionnels aux tarifs que subissent les produits américains à l’entrée du territoire concerné (taux indiqués entre parenthèses) tels qu’estimé par les services de la maison blanche.

Pour le Cameroun, le taux de 11% qui sera désormais appliqué à toutes les exportations vers les USA représente une nouvelle escalade de tarifs. En 2019, les Etats-Unis d’Amérique alors dirigés par Donald Trump, avaient suspendu le Cameroun de la liste des bénéficiaires de la loi sur la Croissance et les opportunités de développement en Afrique (AGOA), un régime préférentiel de commerce accordé aux pays d’Afrique subsaharienne éligibles, leur permettant d’exporter en franchise de douanes vers Washington. Depuis lors, les produits Camerounais subissaient un tarif moyen d’environ 3% avec cependant des taux plus importants appliqués sur des produits tels que le tabac.
1. USA : Un partenaire commercial modeste
Les échanges commerciaux entre le Cameroun et les États-Unis sont relativement limités en volume, mais représentent pour certains acteurs une importance stratégique. Le commerce bilatéral est dominé par les exportations camerounaises de matières premières et de produits semi-transformés, tandis que le Cameroun importe principalement des produits manufacturés, des équipements et des biens de consommation américains.
Entre 2020 et 2022, les exportations du Cameroun vers les USA ont généré en moyenne 64,7 milliards de F CFA par an soit un total de près de 194 milliards sur les trois années. Plus de 40% de ces recettes proviennent du pétrole brut dont les exportations ont été en hausse au cours de la période. Le cacao et ses produits dérivés dont les beurres de cacao suivent avec plus de 62,3 milliards de revenus sur la période. On retrouve ensuite les bois grumes et sciés et le caoutchouc brut et dans une moindre mesure le café et le thé.

Dans l’autre sens, les importations camerounaises en provenance des USA sont constituées principalement des machines et équipements industriels, des véhicules et pièces détachées, des produits pharmaceutiques et des produits alimentaires et agricoles transformés. Malgré la diversité de ces flux, la balance commerciale est généralement déficitaire pour le Cameroun.
2. USA : Impacts de l’escalade des droits de douane
L’escalade des droits de douane décidée par les autorités américaines aura sans nul doute des effets sur les exportations camerounaises vers les États-Unis, mais ceux-ci devraient rester modérés dans l’immédiat.
D’une part, la généralisation de la hausse des tarifs à l’ensemble des partenaires commerciaux des États-Unis limite le risque de perte de compétitivité relative. En d’autres termes, le Cameroun ne sera pas désavantagé par rapport aux autres pays concurrents, puisque tous sont soumis au même durcissement tarifaire.
D’autre part, la nature spécifique des exportations camerounaises vers les États-Unis (pétrole brut, cacao et dérivés, bois, caoutchouc brut) constitue un facteur d’atténuation :
- Ce sont des produits de base ou semi-transformés, généralement peu substituables par la production locale américaine.
- Ils occupent souvent des segments de niche ou répondent à des besoins spécifiques de l’industrie américaine, ce qui limite le risque d’éviction immédiate.
- Les filières concernées sont davantage exposées aux fluctuations des prix mondiaux qu’aux seules variations de droits de douane.
Cependant, quelques points de vigilance méritent d’être signalés :
- La compétitivité des exportations camerounaises pourrait néanmoins être affectée face aux fournisseurs bénéficiant encore d’accords préférentiels ou de conditions tarifaires négociées ;
- La faiblesse du volume global des exportations camerounaises vers les USA (moins de 5 % du commerce extérieur total du Cameroun) masque un risque réel pour certaines entreprises fortement dépendantes de ce marché ;
- À moyen terme, la persistance d’un climat commercial hostile pourrait inciter certains acheteurs américains à diversifier durablement leurs sources d’approvisionnement.
En résumé, si l’impact immédiat semble contenu, le Cameroun doit rester vigilant, notamment en anticipant d’éventuels repositionnements stratégiques de ses filières exportatrices.
3. Un effet domino aux conséquences potentiellement très néfastes
Plusieurs effets indirects sont particulièrement à craindre par les industries et l’économie camerounaise en général :
- une nouvelle perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales
Les expériences récentes — qu’il s’agisse de la pandémie de COVID-19 ou du conflit en Ukraine — ont démontré avec force la vulnérabilité et l’interconnexion des chaînes d’approvisionnement mondiales. La guerre commerciale initiée par les États-Unis risque d’ajouter une pression supplémentaire à ces réseaux déjà fragilisés. En instaurant des droits de douane généralisés, les États-Unis vont pousser de nombreuses multinationales et entreprises à réorienter leurs flux commerciaux, à rechercher de nouvelles sources d’approvisionnement et à diversifier leurs débouchés.
Cette recomposition des chaînes logistiques mondiales aura des effets de second tour pour le Cameroun. Les industries camerounaises, qu’il s’agisse de l’agroalimentaire, de la métallurgie, du textile ou de la chimie, sont particulièrement exposées en raison de leur dépendance structurelle aux importations d’intrants, d’équipements et de matières premières: La quasi-totalité des machines industrielles, pièces de rechange, intrants spécifiques (produits chimiques, additifs, emballages, etc.) et même les matières premières sont importés, souvent via des circuits internationaux dominés par les grands acteurs des pays touchés par la guerre commerciale (Chine, Europe, USA). Cette tension supplémentaire sur les flux mondiaux se traduira directement par une nouvelle poussée inflationniste importée, des délais d’approvisionnement plus longs et sans doute une plus grande instabilité dans la disponibilité de certains intrants stratégiques.
- Escalade des mesures protectionnistes mondiales
La logique de réciprocité, inhérente aux relations commerciales internationales, va conduire plusieurs grandes économies (Chine, Union Européenne, ASEAN, et d’autres) à répliquer aux mesures américaines par de nouvelles barrières tarifaires et non tarifaires. Ce phénomène, qui renforce l’escalade protectionniste, va accentuer la fragmentation du commerce mondial, entraînant une baisse de la fluidité des échanges, y compris vers des marchés-clés pour le Cameroun.
En alourdissant les coûts du commerce, la guerre commerciale contribuera à freiner la croissance de l’économie mondiale. Et moins de croissance veut dire moins de consommation, notamment pour les matières premières exportées par le Cameroun (cacao, bois, aluminium, coton). Ce ralentissement entraînera une pression à la baisse sur les prix des matières premières, réduisant les marges d’exportation pour les filières camerounaises.
Par ailleurs, même si la zone CEMAC et, plus largement, la sous-région Afrique restent les principales destinations des produits manufacturés camerounais, il n’en demeure pas moins que les industriels locaux pâtiront du contre-coup d’un nouveau tour de vis apporté à l’économie mondiale.
- Contraction potentielle des Investissements Directs Étrangers (IDE)
Les guerres commerciales, lorsqu’elles s’installent dans la durée, poussent les multinationales à réviser profondément leurs stratégies d’investissement et d’approvisionnement. Pour les investisseurs, la complexification des règles commerciales mondiales et l’imprévisibilité des politiques tarifaires accroissent l’aversion au risque et les obligent à une posture de prudence : gel ou report d’investissements, recentrage géographique, renforcement des zones géopolitiquement plus stables.
Dans un tel climat, les économies en développement et à risque modéré, comme le Cameroun, peuvent apparaître comme des destinations secondaires face à d’autres zones bénéficiant de conditions plus prévisibles. Les projets industriels, miniers, agroalimentaires ou d’infrastructures pourraient être reportés ou reconfigurés. Une relocalisation ou un redéploiement des capacités de production privilégiant des zones proches des grands marchés de consommation réduirait les opportunités pour le Cameroun d’accueillir des projets industriels.
À moyen terme, la baisse des IDE pourrait ralentir la transformation structurelle de l’économie camerounaise, freiner l’essor de l’industrie manufacturière et limiter les effets d’entraînement attendus en matière d’emploi, d’innovation et de diversification des exportations.
- Effets financiers : contraintes sur l’accès aux financements extérieurs et sur les conditions de crédit
Au-delà des flux commerciaux et d’investissement, la guerre commerciale entre les États-Unis et ses principaux partenaires crée une onde de choc sur les marchés financiers mondiaux. Historiquement, ces tensions provoquent souvent un durcissement des conditions de financement pour les pays en développement.
Il est ainsi à craindre un renchérissement du crédit à l’échelle mondiale, amplifié par l’instabilité commerciale et monétaire qui traduira par des taux d’intérêt plus élevés sur les emprunts souverains et privés, des exigences de garanties renforcées et des conditions d’accès plus strictes, en particulier pour les pays classés en risque modéré ou élevé. Le Cameroun, dont le financement des infrastructures publiques et de certains projets industriels dépend fortement de l’endettement externe, pourrait voir son coût du crédit augmenter significativement, réduisant sa capacité à mobiliser des ressources pour les investissements productifs.
Transmission des effets de la guerre USA-Monde à l’industrie camerounaise
