Le mois de mai 2025 restera marqué en lettres d’or dans l’histoire maritime et logistique du Cameroun. Le MSC TURKIYE, un navire porte-conteneurs de classe Megamax-24, un authentique géant des mers parmi les plus grands navires porte-conteneurs au monde a accosté au port de Kribi, inaugurant une nouvelle ère dont les répercussions seront significatives pour l’économie nationale et pour le secteur industriel en particulier.
1. Une avancée logistique historique dans un contexte de modernisation portuaire
Le MSC TURKIYE est simplement le plus grand porte-conteneurs jamais accueilli dans les eaux maritimes camerounaises. Il s’agit d’un navire de classe Megamax-24, affichant une capacité record de 24 346 EVP (conteneurs standards), une jauge brute de 236 080 JB, une longueur précise de 399,93 (≃400) m et une largeur de 61,33 m.

Caractéristiques : Type : Porte-conteneurs de classe Megamax Capacité : 24 346 EVP (équivalent vingt pieds) Jauge Brute (JB) : 236 080 JB (volume intérieur global) Longueur : 399,93 (≃ 400) mètres Largeur (maître-bau) : 61,33 mètres
La capacité de 24 346 EVP signifie que le navire peut transporter jusqu’à 24 346 conteneurs standards de 20 pieds. La jauge brute (JB) — ou Gross Tonnage (GT) en anglais — est une mesure du volume intérieur total d’un navire sans unité de poids. Contrairement à ce que le mot “tonnage” pourrait laisser croire, ce n’est pas une mesure de masse mais une valeur sans dimension qui reflète la taille globale du navire. Avec une jauge brute de 236 080, le MSC TURKIYE se classe parmi les plus grands navires jamais construits, comparable au Wonder of the Seas, l’un des plus grands paquebots de croisière au monde.
L’accueil de ce gigantesque bateau fait suite à la livraison officielle de la phase 2 du port en eau profonde, comprenant notamment 715 mètres supplémentaires de quai, 30 hectares de zones d’entreposage et des équipements de manutention de dernière génération. L’opérationnalisation de ce nouveau terminal traduit la volonté du Cameroun de faire du port de Kribi une véritable plaque tournante logistique et industrielle en Afrique centrale.
L’accostage réussi au Port de Kribi (PAK) d’un porte-conteneurs de classe Megamax-24 marque une rupture significative dans le paysage logistique du Cameroun. Ce type de navire se situe à l’opposé du profil des navires traditionnellement accueillis dans les ports nationaux. Le navire Megamax-24, avec ses 399,93 mètres de longueur et 61,33 mètres de largeur, est conçu pour les lignes maritimes intercontinentales et les hubs mondiaux. En comparaison, les navires fréquemment reçus au Cameroun ne dépassaient généralement pas les 260 mètres de long et 32 à 35 mètres de large. Leur capacité moyenne était de 1 500 à 2 500 EVP, soit environ 10 fois moins que celle d’un Megamax.
Ce différentiel de taille permet au port de Kribi de tirer parti d’économies d’échelle majeures, tant pour l’importation que pour l’exportation, en réduisant les coûts unitaires de fret maritime. Assurément, le Cameroun rentre dans une nouvelle ère logistique.

2. Implications pour les industriels camerounais
L’augmentation de la capacité logistique nationale, concrétisée par l’accueil de navires de très grand tonnage au port de Kribi, dépasse un simple accomplissement portuaire : elle peut potentiellement transformer en profondeur les conditions d’exercice des activités économiques au Cameroun en général et dans le secteur industriel en particulier. En dépassant les limites physiques et opérationnelles du système portuaire traditionnel, cette avancée offre aux industriels de nouvelles opportunités pour réduire leurs coûts, sécuriser leurs chaînes d’approvisionnement, accéder à de nouveaux marchés, et également repenser leurs modèles logistiques.
Elle facilite une meilleure intégration dans les chaînes de valeur régionales et mondiales, renforçant ainsi la compétitivité des produits camerounais sur le plan international. Les paragraphes suivants exposent les principaux impacts concrets à court et moyen termes.
44 Réduction des coûts logistiques à l’export et à l’import
L’accueil de porte-conteneurs de très grand tonnage, tels que les navires de classe Megamax, constitue une avancée décisive pour la réduction des coûts logistiques à l’exportation et à l’importation. Grâce aux économies d’échelle générées par ces navires, le coût unitaire du fret par conteneur (EVP) peut être réduit de 15 à 25 % par rapport à un trafic transitant par des navires de gabarit intermédiaire. En outre, l’intégration de Kribi dans les routes maritimes intercontinentales permet d’éviter les frais de transbordement généralement appliqués dans des hubs portuaires tiers, tels que Lomé, Pointe-Noire ou Abidjan, représentant jusqu’à 300 à 500 USD (180 000 à 300 000 FCFA) par conteneur.
À l’import, la capacité d’accueil directe de navires long-courriers réduit les ruptures de chaîne logistique, abaisse les délais de déchargement, et améliore la prévisibilité des livraisons. Cela offre aux entreprises industrielles la possibilité de réduire leurs stocks de sécurité, de fluidifier leurs approvisionnements, et par conséquent d’abaisser les coûts liés au stockage et au capital immobilisé.
44 Réduction des délais grâce à l’accès direct aux lignes maritimes intercontinentales
L’accueil de ces géants des mers positionne Kribi sur les lignes maritimes longues distances et représente une avancée stratégique pour les industriels camerounais. En accueillant désormais des navires en provenance directe d’Asie, d’Europe ou du Moyen-Orient, Kribi met fin à la dépendance quasi-systématique aux hubs de transbordement intermédiaires, souvent situés en Afrique de l’Ouest ou au Maghreb. Cette évolution structurelle se traduit par une réduction significative des délais de transport international : le temps moyen de transit vers l’Asie peut désormais passer de 45 à 30 jours, tandis que les exportations vers l’Europe peuvent s’effectuer en 15 jours seulement, contre plus de 25 auparavant via des circuits indirects.
Pour les industriels, ces gains en temps sont loin d’être anecdotiques. Ils permettent une meilleure synchronisation des cycles de production et d’expédition, réduisent l’exposition aux aléas logistiques et facilitent la planification des opérations. Cette fluidité accrue des flux internationaux se traduit également par une réduction du besoin en stockage intermédiaire et une optimisation des délais de paiement, deux éléments clés pour renforcer la trésorerie des entreprises. En permettant des échanges plus rapides et plus fiables, le Port de Kribi pourra consolider la position du Cameroun comme acteur crédible et performant dans le commerce international.

44 Création de nouvelles opportunités d’affaires industrielles locales
La croissance du Port de Kribi, tant en capacité qu’en performance, aura une influence positive sur l’économie locale et nationale, notamment sur les secteurs industriels liés. L’augmentation des trafics maritimes et routiers requiert le développement rapide d’activités additionnelles telles que la logistique contractuelle (stockage, regroupement, distribution), l’entretien des équipements portuaires et de transport, la fourniture d’énergie et de fluides techniques, ainsi que les services de réparation, de transit et de contrôle qualité pour ne citer que ceux-là.
Cette évolution favorise aussi le renforcement d’un écosystème de petites et moyennes entreprises industrielles, capables de répondre à des besoins spécifiques associés aux activités portuaires : métallurgie, travail des métaux, transformation de matériaux, emballage industriel, etc. De plus, le développement de la Zone industrielle intégrée du port de Kribi (ZIIPK) constitue un environnement favorable à l’installation d’unités de transformation à proximité du quai, optimisant ainsi les coûts logistiques de production et d’exportation.
Cette dynamique offre des perspectives concrètes d’intégration locale dans la chaîne de valeur portuaire, stimulant les partenariats entre les grands opérateurs et les acteurs nationaux, et ouvrant la voie à un tissu industriel plus dense, plus compétitif et mieux connecté aux marchés régionaux et internationaux.
44 Kribi, futur hub sous-régional et régional
En plus de son importance croissante dans le commerce extérieur du Cameroun, le Port de Kribi est destiné à jouer un rôle essentiel comme plateforme logistique pour l’Afrique centrale et au-delà. Grâce à sa situation géographique privilégiée et à sa capacité à accueillir des navires de dernière technologie, le port est bien positionné pour devenir un centre majeur dans les échanges intra-africains.
L’infrastructure portuaire de Kribi est partie intégrante d’une vision cohérente : celle d’un port en eau profonde relié à une zone industrielle et logistique et disposant d’un système de procédures modernisé (80-90% dématérialisation). Avec les corridors logistiques multimodaux (routes, chemins de fer) annoncés, cette intégration fonctionnelle permettra, à moyen terme, de regrouper à Kribi les opérations de consolidation, transformation, stockage et réexportation, au profit des flux commerciaux des pays africains de la côte atlantique.
Dans le cadre de la Zone de Libre-Échange Continentale Africaine (ZLECAF), Kribi a le potentiel de devenir un point central pour les chaînes de valeur régionales, stimulant ainsi la circulation des biens manufacturés, et l’attrait du Cameroun en tant que destination industrielle. Il ne s’agit plus seulement d’exporter depuis le Cameroun, mais aussi de traiter, assembler et redistribuer, transformant Kribi en un véritable centre industriel et logistique régional, moteur d’une nouvelle dynamique économique sur le continent.
Au final, en facilitant des flux logistiques plus massifs, réguliers et compétitifs, le Port de Kribi permettra aux opérateurs industriels de bénéficier d’une arrivée plus régulière des intrants industriels (machines, matières premières, composants), réduisant ainsi les risques de rupture de stock et les délais de production tout en favorisant également la diversification des sources d’approvisionnement. Avec ces atouts, ils devront de réviser leurs stratégies d’approvisionnement et de distribution à l’échelle régionale et internationale. Il s’agit là d’un avantage structurel majeur dans un contexte où les coûts logistiques représentent encore jusqu’à 30% du coût final de revient pour de nombreux produits camerounais destinés à l’exportation.
Il ne fait donc aucun doute que les perspectives offertes par le Port de Kribi sont prometteuses. Leur concrétisation effective dépendra cependant de la capacité des acteurs, publics comme privés, à anticiper et à lever un certain nombre de défis logistiques, réglementaires et organisationnels encore latents.
3. Défis à lever
Défi n°1 : Fluidité logistique en aval et interconnexion port-industrie
Pour optimiser l’impact du Port de Kribi, le principal obstacle à surmonter est désormais d’assurer une connexion efficace entre l’infrastructure portuaire et les zones de production ou de consommation situées à l’intérieur du pays. Bien que le port soit maintenant équipé d’installations de pointe pour le traitement maritime, les infrastructures terrestres sont encore loin du niveau requis. Les routes et voies ferrées devant transporter les marchandises vers Douala, Yaoundé, Bafoussam, ainsi que vers les pays de l’hinterland (Tchad, République Centrafricaine) ne sont loin d’être adaptées pour supporter durablement les volumes générés par l’accostage de navires de 20 000 EVP et plus.
Cette situation risque de provoquer une congestion en aval, qui pourrait limiter les avantages obtenus au niveau portuaire. De plus, il semble plus qu’urgent d’envisager des plateformes logistiques avancées, des zones de transit et de groupage à proximité du port pour créer une réelle chaîne de valeur logistique intégrée et éviter des ruptures entre le terminal maritime et les sites industriels, logistiques ou commerciaux situés à l’intérieur du pays.
Au final, une meilleure coordination entre les politiques portuaires, industrielles, territoriales et infrastructurelles est indispensable afin de faire de la fluidité logistique un véritable moteur de compétitivité industrielle.
Défi n°2 : Dématérialisation complète et gouvernance des processus
Bien que le Port de Kribi soit désormais conforme aux normes internationales en matière d’infrastructure physique, l’efficacité globale de sa logistique repose également sur une gestion fluide, transparente et numérisée des processus. Des progrès notables ont été réalisés dans ce chantier dès la mise en service du port avec l’option prise pour la dématérialisation intégrale. Néanmoins, le processus reste éclaté, parfois redondant, et occasionne parfois des retards coûteux pour les opérateurs économiques.
De nombreux industriels rencontrent encore une multitude d’interfaces administratives, notamment en ce qui concerne le système d’information des administrations techniques (SIAT), du Guichet Unique des Opérations du Commerce Extérieur (GUCE), les systèmes autonomes de certaines administrations techniques, des délais de traitement imprévisibles, et des difficultés d’interopérabilité entre les systèmes informatiques des différents acteurs.
Le succès du projet portuaire de Kribi en tant que centre compétitif dépendra donc de la mise en œuvre accélérée d’une numérisation complète et interconnectée de l’ensemble des chaînes de traitement. Cela implique une interopérabilité totale entre les systèmes d’information, un accès sécurisé aux données logistiques en temps réel, une simplification des formalités douanières et fiscales, et une meilleure répartition des responsabilités entre les parties prenantes.

Défi n°3 : Anticipation des transformations logistiques par les entreprises elles-mêmes
Outre les réformes espérées de l’État et des responsables d’infrastructures, l’utilisation optimale des nouvelles capacités du Port de Kribi nécessite également une adaptation proactive des entreprises camerounaises. La logistique contemporaine, organisée autour de centres névralgiques tels que Kribi, oblige à refondre les modèles d’organisation traditionnels, encore souvent basés sur des logiques de stockage prolongé, de production en flux poussés et de gestion artisanale des expéditions.
À l’opposé, l’ère des méga-navires et des corridors logistiques interconnectés exige des pratiques plus intégrées : gestion prévisionnelle des flux, sous-traitance stratégique des opérations logistiques, investissement dans des systèmes d’information performants, rationalisation des points d’enlèvement et de livraison, et renforcement des compétences humaines dans les métiers de la chaîne d’approvisionnement.
Une partie importante du secteur industriel camerounais, notamment les PME, est en retard sur ces problématiques. Ce décalage pourrait les priver des avantages attendus du développement portuaire, voire les exposer à une marginalisation croissante face à des concurrents étrangers ou locaux mieux organisés.
Il est donc essentiel que les entreprises industrielles initient sans attendre une amélioration des compétences logistiques, soutenue par des diagnostics internes, des partenariats spécialisés, et une stratégie claire d’adoption des outils numériques. Leur compétitivité dans le cadre de la ZLECAF dépendra autant de leur performance sur le plan industriel que de leur capacité à gérer efficacement la circulation des flux physiques et informationnels.
Devant ces défis, il est évident que la réussite du développement du Port de Kribi ne dépendra pas seulement de l’infrastructure elle-même, mais aussi de la capacité des différents acteurs — qu’ils soient publics, privés, portuaires ou industriels — à adopter une approche de transformation systémique. Cela implique non seulement d’améliorer les connexions physiques, de moderniser les procédures et de gérer efficacement les flux, mais aussi de favoriser une culture industrielle basée sur l’anticipation, la réactivité et l’intégration logistique. À partir de cette perspective, il convient de formuler des recommandations stratégiques pour le secteur industriel, afin de concrétiser le potentiel logistique de Kribi en avantage compétitif concret et durable pour l’économie nationale.
4. Recommandations stratégiques à l’attention des industriels
Pour tirer pleinement parti de l’essor du Port de Kribi et transformer cette avancée logistique en levier de compétitivité, les industriels camerounais sont appelés à adopter une posture résolument proactive, structurée autour des axes suivants :
- Repositionner les stratégies logistiques et commerciales autour de Kribi (au moins en partie) :
Les industriels doivent considérer Kribi non seulement comme un point d’embarquement, mais comme un pivot de leur organisation logistique, en adaptant leurs circuits d’exportation, leurs points de regroupement de marchandises et leurs stratégies d’approvisionnement. Cela peut impliquer de nouer des partenariats avec les opérateurs logistiques présents sur le site et d’explorer les avantages comparatifs de Kribi sur les lignes intercontinentales.
- Renforcer les chaînes d’approvisionnement intégrées et rationalisées :
Il s’agit de bâtir des systèmes logistiques plus agiles et interconnectés, en investissant dans la gestion numérique des flux (ERP, traçabilité, systèmes de prévision), en externalisant les fonctions logistiques spécialisées, et en optimisant la coordination entre production, transport et distribution.
- Participer à la structuration de zones logistiques et industrielles proches du port :
En intégrant ou en soutenant le développement de la Zone Industrielle Intégrée du Port de Kribi (ZIIPK), les industriels peuvent bénéficier de synergies fortes (mutualisation d’équipements, réduction des temps de transit, fiscalité incitative) et s’ancrer dans une dynamique de spécialisation territoriale tournée vers l’export.
- Accélérer la montée en compétences dans les métiers logistiques et portuaires :
La maîtrise des nouveaux standards du commerce international suppose des profils qualifiés dans la gestion de la chaîne logistique, les opérations portuaires, la documentation commerciale, et la négociation de fret. Il convient donc de renforcer la formation continue, en lien avec les universités, centres de formation spécialisés, ou cabinets privés.
- S’engager dans le dialogue public-privé pour influencer les politiques logistiques :
Comme observé, des défis importants restent à lever pour transformer l’essai. Il est essentiel que les industriels s’impliquent plus activement et soutiennent les actions de plaidoyer de leur syndicat (Syndustricam) et participent aux cadres de concertation avec les Autorités portuaires, douanières et gouvernementales. Cette implication permettra de faire remonter les contraintes terrain, de co-construire des solutions et d’ancrer les réformes logistiques dans une logique de compétitivité réelle.
